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errare, atque viam palantis quaerere vitae
11 juillet 2011

« L'angoisse de l'amour te serre le gosierComme

« L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus être aimé
»

(Apollinaire, Zone)

Entre monsieur P. qui me demande pourquoi je n'ai pas fait de prépa et C. qui m'annonce son admission à l'ENS, je me trouve replongée quelques années en arrière, en Terminale et en première année de fac, au moment des choix, et à celui où il faut commencer à les assumer. Je retrouve mon état d'esprit d'alors, que j'avais presque oublié : ce que je voulais à tout prix, c'était d'abord être heureuse ; je partais chercher dans mes études un bonheur que je ne savais comment retrouver autrement. Mes vieux mots me rappellent ma solitude d'alors, une solitude bien pire que celle de Bristol, parce je n'étais pas seulement loin des gens que j'aimais : tout simplement, ces gens n'étaient plus ; ils m'avaient tous tourné le dos les uns après les autres. Je ne peux m'empêcher de penser à Rousseau et à ce qu'on prend pour sa paranoïa ; je ne prétendrai pas n'être pour rien dans le rejet de mes amis, mais ça ne fait aucun doute : ces situations étranges où tous ceux qui vous entouraient se mettent subitement, à tort ou à raison, à vous haïr existent. Et il n'est pas facile de s'en relever ; quand la fin de la vie est proche, sans doute, il n'est plus temps. Mais je ne veux pas m'étendre plus longuement sur ce sujet pénible et délicat ; tout est loin derrière moi aujourd'hui, j'ai à nouveau des amis chers, et plus d'ennemis depuis longtemps ; je suis heureuse dans la mesure où j'aspirais alors à l'être ; retourner un passé dépassé n'a plus de sens.

Je n'ai pas fait de prépa parce que je ne me croyais pas capable d'avoir le concours, et parce que d'ailleurs, je ne le voulais pas. J'avais fait ce vœu monastique auquel j'ai renoncé depuis : avoir le CAPES de philosophie, pour tâcher d'aider modestement à vivre quelques adolescents torturés comme je l'étais. Non pas les accabler de culture, mais poser avec eux les bonnes questions, aborder tant bien que mal les inquiétudes primordiales de la vie ; la classe de Terminale me semblait, et me semble toujours quand je me relis, le bon lieu pour cela. En somme, j'aurais été une sorte de psychologue ou de pédagogue, j'aurais été prof dans le sens le plus pur du terme : ce n'est pas ma matière qui m'intéressait, mais la classe que j'aurais eue en face de moi, les individus surtout qui l'auraient composée, et la philosophie ne me semblait que le meilleur moyen de tâcher de leur apporter quelque chose, de les accompagner un peu à une période de la vie qui est parfois difficile. Le problème n'aurait pas été leur bulletin de notes, ni le bac, comme ils ne l'ont jamais été pour moi ; le problème, c'était simplement la vie, avec tout ce que ce mot a de vague, et pour être plus précis : la vie intérieure. Ce projet était beau ; je le regrette presque.

Tout est différent dans les lettres classiques ; c'est vraiment la Grèce qui m'intéresse, et avec elle l'érudition et la recherche, sans oublier ma carrière et mon ego. Dans ces conditions, je ne peux m'empêcher, a posteriori, de regarder avec envie ceux qui ont passé les portes de cette école prestigieuse qu'est l'ENS – un atout dont je me suis volontairement privé. Je réalise que mon choix, qui en son temps était pleinement justifié mais qui, depuis mon revirement, m'est de moins en moins compréhensible, peut me coûter mon avenir. Pourtant comment regretter ? Je n'avais pas l'esprit tourné en ce sens au moment de choisir, je ne pouvais pas imaginer que je changerais de projets. Aller en prépa dans l'état d'esprit dans lequel je me trouvais alors aurait été absolument incohérent et probablement catastrophique.

Je disais l'autre jour à monsieur P. que j'essayais de me faire à l'idée que peut-être, j'enseignerais toute ma vie dans le secondaire, perspective qui ne me réjouissait pas au moment où je lui en parlais, et il est vrai qu'après une thèse, après avoir goûté aux délices intellectuels de la recherche, parler de ces sujets que je connais si bien sans pouvoir aller au fond des choses et sans certitude de gagner l'intérêt de mon auditoire risque d'être difficile, et même de faire de moi un mauvais enseignant, en plus de me coûter mon épanouissement. Pourtant avec le recul que m'offre la relecture de mes écrits de Terminale et de L1, je me dis que peut-être, cet épanouissement, même dans le secondaire, ne serait pas impossible. J'ai tellement changé depuis ce temps et je me sens tellement mieux aujourd'hui que j'ai quelque angoisse à imaginer retourner vers les idées que j'avais alors ; mais qui sait ce que l'avenir me réserve ? Je n'y suis pas encore : pour l'instant, mon projet se situe dans la recherche ; le moment des réorganisations intérieures qu'imposent parfois les événements extérieurs viendra en son temps ; inutile de les anticiper. Il me suffit de me rappeler que d'autres états d'esprits, d'autres projets enthousiasmants sont possibles. Et de me promettre de tout faire, quoi qu'il arrive, pour me garder de toute aigreur. Même si tout doit changer, même si je dois tirer un jour un trait sur ma vie d'aujourd'hui – et peut-être, j'ai peine à l'écrire, jusqu'à des amitiés qui pourraient entretenir mes regrets si je les cultivais –, tout finira par rentrer dans l'ordre – quel qu'il soit.

En attendant, la Grèce m'attend, et mon cher Socrate !

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